Au Sénégal, il existe des catholiques polygames. Et pourtant, la religion chrétienne ne reconnait que le mariage monogame. Seneweb est allé à la rencontre des hommes et femmes catholiques qui pratiquent la polygamie. Au nom de la coutume, des champs et de l’autorité parentale…
Robert Mendy vit avec ses trois femmes à Grand-Yoff. Ce catholique et pratiquant a même en Guinée-Bissau une quatrième épouse. Pourtant, dans la religion chrétienne, la conception du mariage concerne un homme et une femme pour toute la vie. Sujet tabou dans le Christianisme, la polygamie y est pourtant bel et bien une réalité. Chez les manjaques par exemple, un homme peut épouser plusieurs femmes, selon la tradition.
Dans cette communauté, le mariage polygame est appelé « A Nimtoul ». Il existe depuis longtemps. À l’époque, lorsque les hommes épousaient plusieurs femmes, c’était pour un objectif bien précis. « Si on se mariait, c’était pour avoir de l’aide dans les travaux champêtres. Celui qui a quatre femmes peut déjà compter sur les trois qui vont l’aider dans les champs et une autre qui pourra, à tour de rôle, assurer la cuisine à la maison », confie Robert Mendy.
Ce dernier ne s’est jamais marié à l’église. Ni avec la première, encore moins avec celles qui ont suivi. Son argument est que le mariage traditionnel est plus important chez eux. Pour quelqu’un qui n’a pas encore bouclé sa liste, pas évident d’aller voir un prêtre. « J’ai quatre femmes aujourd’hui et j’envisage d’en avoir d’autres. Je ne me suis jamais présenté à l’église avec l’une de mes épouses pour me marier. Et cela ne m’empêche pas d’aller à la messe ni d’être engagé au sein de ma paroisse », argue-t-il.
Pour le moment, il n’y a que deux d’entre elles qui bénéficient d’un mariage civil.
« J’étais la cinquième épouse de mon mari »
Kinta Signou Mendy est vendeuse de poissons au marché « Gan » de Xaar Yalla. Elle se lève chaque jour de bonne heure pour son commerce. Forte corpulence, foulard multicolore noué autour de la tête, comme une vraie « Ndiago », cette veuve et mère de cinq enfants, connait la polygamie.
« J’étais la cinquième épouse de mon mari. Il est décédé il y a 10 ans. Etre catholique en même temps être polygame est une réalité que certains voient mal. Mais pour nous, c’est un mariage comme les autres, même si on ne part pas à l’église pour se marier. Mais c’est notre culture », assume la vendeuse de poissons.
La septuagénaire rembobine: « J’ai une fille qui est également polygame. Dans notre famille, rares sont les personnes qui ne sont pas polygames. »
Chez les catholiques « mancagnes » également, la polygamie existe. Mais, sous une autre facette. Dans cette ethnie, certains sont en statut de polygame malgré eux. Parfois, ils sont mariés par obligation. La polygamie est appelé « Peukhite » en mancagne.
« Chez nous, la plupart des hommes épousent deux femmes. Et souvent, ce sont nos parents qui nous trouvent une seconde épouse et on n’a pas le choix. Et pourtant, nous sommes des croyants », explique Charles Nadiak.
La position de la nouvelle génération
En outre, on peut voir dans une famille un homme épouser la veuve de son frère, après le décès de ce dernier. Ce qui renforce encore la pratique de la polygamie chez les mancagnes.
Au Sénégal, rares sont les jeunes catholiques qui acceptent le mariage polygamique. Y compris ceux qui sont nés d’une famille polygame. Certains d’entre eux (homme et femme), approchés par Seneweb ne comptent pas suivre cette pratique. C’est le cas de cette jeune dame âgée de 36 ans et comptable dans une banque de la place.
« Je suis une fervente chrétienne. Et je suis contre cette pratique, car la région chrétienne la condamne. Je suis mancagne et je suis issue d’une famille polygame. Mais je ne serai jamais polygame », promet fermement Marie-Jeanne Boissy.
« L’une des coépouses de ma mère qui a ensorcelé… »
Dans la même veine, Désiré Niouky explique que, de nos jours, les mentalités ont changé. « La religion permet de prendre une seule femme. Et c’est ça la norme. Je ne compte pas épouser une seconde femme. Il faut que la jeunesse se réveille par rapport à cette situation. C’est interdit par la religion. Le monde a évolué, donc il faut que les mentalités changent », conseille-t-il.
Née dans une famille polygame, Marthe Basse est amère quand elle parle de son enfance : « Nos parents ne savent pas que c’est nous qu’ils sacrifient en pratiquant la polygamie. Je suis issue d’une famille manjaques polygame. Mon père a plusieurs conjointes. Et cela n’a fait qu’amener des conflits dans la famille. Nos mamans se disputent à longueur de journée. Au final, nous sommes dans de mauvaises postures », s’offusque-t-elle.
À la maison, la tension est permanente, si l’on en croit cette interlocutrice. Il s’y ajoute que son frère ne travaille pas. Et on croit ferme que ce n’est pas le destin. « On dit que c’est l’une des coépouses de ma mère qui l’a ensorcelé, narre Marthe. En plus, nous sommes nés dans une union que la religion chrétienne n’autorise guère », se désole la jeune femme.
Ce qu’en dit l’Église
Étymologiquement, la polygamie dérive de deux mots grecs. Poly qui veut dire nombreux, beaucoup, plusieurs. Et Gamos qui signifie mariage. Ce qui veut dire que la polygamie est définie comme un type de mariage dans lequel l’homme est autorisé à épouser plusieurs femmes à la fois.
Or, la nature biblique du mariage est monogamique et indissoluble. D’après les références de la Genèse, « l’homme doit épouser une seule femme et les deux doivent devenir une seule chair » (Genèse 2:18-24). C’est ce qu’affirme Père Paul Sagna, vicaire à la paroisse Sacré-Cœur située dans le département d’Oussouye.
« La polygamie est interdite au sein de l’Église du Seigneur comme nous le révèlent les écritures. En effet, comme le fut à l’origine, Jésus-Christ est venu rétablir la monogamie (Un seul homme pour une seule femme) Matthieu 19:4-8) », explique-t-il.
Le clergé fait remarquer encore, en s’appuyant sur la Bible, que le concubinage, la polygamie, ou le mariage léviratique (épouser la veuve de son frère), ne sont pas autorisés dans l’Église, car constituant des offenses contre Dieu (fornication, adultère).
D’après Père Paul Sagna, la polygamie a des conséquences néfastes. Il explique : « Dans certains foyers, il était difficile, de concilier les humeurs et les caractères, si bien que les disputes, voire les bagarres y surviennent fréquemment. Par conséquent, il est difficile de trouver l’harmonie et la concorde au sein des enfants qui prennent souvent conseil auprès de leur mère respective. »
En 2014, le Pape François a rappelé aux fidèles le modèle de chrétien de l’union entre homme et femme face aux mariages mixtes et à polygamie répandue surtout dans le continent noir.